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L’armée francaise et les Africains

De Bonaparte au général Challe

jeudi 13 mars 2014, par Maurice Faivre

Dans les pays d’Afrique où elle a exercé sa souveraineté, la France a engagé dans ses armées, comme soldats de métiers, conscrits ou supplétifs, des ressortissants des populations autochtones. En même temps, elle a souvent confié à l’autorité militaire l’administration de ces populations. Après avoir rappelé l’historique de ces relations, cet exposé s’efforcera d’en dégager les caractère généraux.

Caractéristiques de ces relations.

La mobilisation sélective de combattants d’Afrique, limitée par rapport à la ressource démographique, procure aux armées françaises un appoint d’effectifs conséquent lors des deux guerres mondiales, des guerres d’Indochine et d’Algérie. Cette participation varie selon les territoires d’origine, Afrique du Nord ou Afrique noire.

Leur rusticité, leur aptitude au combat en montagne et dans le désert, en font des combattants redoutables, qui doivent être bien encadrés pour éviter les excès. Les taux de pertes confirment leur courage au combat. Ils se distinguent en 1870 à Wissembourg et Froeschwiller, sur le front de 1914 en France et à l’armée d’Orient. Ils prennent une part importante aux campagnes de Tunisie et d’Italie, ainsi qu’au débarquement de Provence. En Algérie, l’efficacité des Commandos de Chasse est reconnue.

Les relations entre les cadres militaires et les soldats d’Afrique se caractérisent par la fidélité au chef, qui n’est pas exempte de paternalisme, par la fraternité d’armes et le souci de promotion humaine. Les officiers sont parmi les premiers à développer la connaissance scientifique des populations indigènes. Admiratifs envers la piété des musulmans, ils observent avec inquiétude la montée de l’islamisme. Ils sont attachés à leurs subordonnés, défendent leurs intérêts quand ils sont traités de façon inégalitaire, et s’opposent aux politiques d’abandon.

Survivances et imitations
La décolonisation, lorsqu’elle a été violente, a généralement rompu les liens entre l’armée française et les peuples d’Afrique. Cependant certains cadres africains de l’armée, fidèles aux valeurs qui leur ont été inculquées, participent au développement politique et économique de leur pays, tandis que des coopérants militaires forment leur armée et que les soldats français de la paix perpétuent la tradition humanitaire de leurs aînés.
Bien que les 1er Régiments de Tirailleurs et de Spahis aient conservé les traditions de leur corps d’origine, il n’existe plus dans l’armée française d’unité de recrutement africain. [1].
Les jeunes Français d’origine maghrébine, après avoir été tentés de faire leur service en Algérie, conformément à l’accord Mauroy-Ibrahimi de 1983, optent désormais dans leur très grande majorité pour le service dans l’armée française. Ils en seront dispensés en l’an 2003, mais auront la possibilité de s’engager, comme un certain nombre l’a fait lors de la guerre du Golfe [2]

En Algérie, le colonel Boumediene a fait appel dans les années 60-70 à d’anciens cadres de l’armée française pour encadrer les Centres d’instruction de l’ANP. En revanche, les anciens supplétifs sont toujours rejetés par l’opinion algérienne, et par le pouvoir, qui accuse même les fils de harkis de fomenter des actes de vengeance dans le cadre des groupes armés islamistes.

Au début de 1989, le roi Hassan II répond aux détracteurs de la mosquée de Casablanca :

...je vais encore vous surprendre, j’en arrive dans ces moments-là, tenez-vous bien, à regretter ces contrôleurs civils et ces officiers des Affaires indigènes, qui sous le régime honni de la colonisation, n’en avaient pas moins une connaissance intime de l’âme marocaine et de l’islamisme qui l’irrigue...

Dernière survivance, la recréation en Mauritanie, avec l’aide d’officiers français, d’un escadron blanc dont les méharistes bénéficient de moyens modernes (ULM et GPS de positionnement).

Général (cr) Maurice FAIVRE

Les estimations des effectifs sont souvent contradictoires, par le fait que les troupes de souveraineté ne sont pas toujours distinguées des forces engagées sur un théâtre extérieur. Quant aux chiffres des pertes, ils additionnent souvent les tués au combat, les disparus, les morts de maladie et par accident, et les blessés non récupérables. Les chiffres des tableaux joints sont donc des approximations qui peuvent être contestées.

MOBILISATIONS CUMULÉES, comparées à la population

Soldats Afrique du Nord Afrique noire France
Guerres Mobilisés % pop. Mobilisés % pop. Mobilisés % pop.
1870-71 8 900 0,4% 0 0,0% 1,3 m 3,4%
1914-18 218 000 2,0% 189 000 1,6% 7,8 m 20%
1939-40 180 000 1,2% 132 000 0,7% 4,7 m 11%
1942-45 233 000 1,2% 1 m 0,5% 0,7 m 0,5%
Indoch. 1946-54 37 000 0,2% 8 000 0,04% 50 000 0,1%
Algérie 1954-62 390 000 4,6% 15 000 0,07% 1,23 m 2,8%

Pertes

Soldats Afrique du Nord Afrique noire France
Guerres perte % perte % perte %
Algérie, Crimée, Italie,
Mexique, Madagascar
3125
1870-71 5000 0,4 m 30%
1914-18 35900 16% 30000 à 35000 15% 1,3 m 16%
Maroc 1907-1935 2520
1939-40 5400 3% 17500 13% 115000 2%
Levant 1919-1941 3750
1942-45 11200 5% 4000 ? 5% 40000 6%
Indochine 1946-54 7000 à 8000 20% 1500 ? 18% 12000 24%
Algérie 1954-1962 4600 1% 480 3% 9000 1%
Représailles de 1962 60000 à 80000 16% 160

Sources

 Général Jean DELMAS. Naissance des Corps indigènes en Afrique, in L’Épaulette 7/92, p.31.
 SHAT / Documentation, pour le 19ème siècle et les campagnes d’outre-mer.
 X. YACONO. Histoire de l’Algérie. L’Atlanthrope 1994 pour les guerres de 1870-71, 1914-18 et 1962.
 G.MEYNIER.L’Algérie révélée. Genève 1981, pour 1914-18.
 J. FRÉMEAUX. Les armées françaises pendant la seconde guerre mondiale, colloque SHAT de 1985, p.355,
 CR AGERON. Histoire de la France coloniale . A.Colin. 1990 pour 1939-40 et 1943-44.
 C.CARLIER ET G.PEDRONCINI. Les troupes coloniales dans la grande guerre. Economica 1997.
 B. RECHAM.Les musulmans algériens dans l’armée française . 1919-1939. Economica.
 M. RIVES ET R. DIETRICH. Héros méconnus. Mémorial des combattants d’Afrique noire et de Madagascar.
 Général SPILLMANN. De l’Empire à l’hexagone. Perrin 1981.
 Jérome HÉLIE. Les accords d’Évian, histoire d’une paix ratée. O.Orban, 1992.


[162.000 harkis ont quitté le service en 1960 et 1961

[2de 1982 à 1997, 35040 jeunes ont fait l’option algérienne, mais seulement 1635 ont été appelés. l’option constitue en fait un moyen d’échapper à tout service. En 1995, pour 875 options, 30 jeunes ont été appelés en Algérie.