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Les archives de la guerre d’Algérie

jeudi 13 mars 2014, par Maurice Faivre

Les principes : la Loi du 3 janvier 1979

Les unités et services militaires classent les archives courantes, conservent les archives intermédiaires et versent aux Services historiques les archives définitives (historiques). Les Services historiques en font l’inventaire et gérent les demandes de dérogation.
Les délais de communication sont :

  • 30 ans pour 85% des archives,
  • 60 ans pour les documents mettant en cause la sûreté de l’Etat, la Défense nationale, la sécurité et la vie privée des personnes. Sont concernés les documents classifiés, ceux des Services de renseignement, les dossiers diplomatiques sur les frontières. La photocopie n’est pas autorisée.
  • 100 ans pour les archives de la Justice militaire,
  • 120 ans après la date de naissance pour les dossiers personnels
  • 150 ans pour les dossiers médicaux.

En 1992 les dossiers opérationnels des 2ème Bureaux ont été ouverts au public.

La loi du 12 avril 2000 définit les droits des citoyens dans leur relation avec l’administration, et le recours possible à la CADA. La circulaire du 13 avril 2001 précise l’accès aux archives de la guerre d’Algérie, elle définit les règles de dérogation, mais ne favorise pas la transparence (dossiers NBC, torture et 17 octobre 1962). La circulaire du 2 novembre 2001 est relative à la gestion des archives dans les services de l’État. La loi Kouchner du 4 mars 2002 précise les condition d’accès aux documents médicaux (modification au Code de la Santé publique).

Le Conseil supérieur des Archives, créé par l’arrêté du 13 septembre 1999, propose de modifier la loi de 1979. Le projet en sera soumis à la prochaine session du Parlement. Il prévoit de réduire les délais de communication à 25 ans et 50 ans, et à 25 ans après le décès l’accès aux dossiers personnels. Un nouveau délai à 100 ans serait créé pour les documernts NBC.

La réalité des archives militaires

  • Précédents de Lattre en 1945, Indochine 1954, archives Muselier saisies par R.G.
  • Elimination des archives d’avant 1950 à Alger. Possibilité de subtiliser et détruire (exemples JMO Alger-Sahel et Secteur Oran).
  • Bureau de Blida conserve archives collectives de gestion.
  • Transfert archives de souveraineté (contredit P.Boyer).
  • Directive Messmer de juin 1962 pour reversement SHAT et BCAC. Arrivée en 1963.
  • Tri préalable pour éviter saisie par FLN. Mers el Kebir en 1967-68.
  • Au SHAT, classement par ordre hiérarchique, premier traitement de 1970 à 1990 par Jean Nicot. Archives disciplinaires séparées. Cotation et répertoire. Pas de censure au SHAT ?
  • Deuxième traitement par Caroline Obert de 1990 à 1994. Fixe délais de communication.
  • Inventaire de 1992 modifié en 1994, 1999 et 2001. Introduction sur les Institutions algériennes rédigée par M.Hardy, T.Sarmant et H.Lemoine (2002).
  • JMO fermés par crainte relevés nominatifs par Algériens (recherche de traîtres).
  • Pas de ruée sur les archives. Salle de consultation fermée en 1994. En 2000 : 50 chercheurs, 196 lecteurs, surtout anciens combattants sur JMO. 56 dérogations dont 2 pour étranger.
  • Nombreuses correspondances d’Algériens pour renseignements administratifs.
  • Pas de grande synthèse historique ?

La réalité des archives civiles.

  • Saccage du 13 mai 1958. Plasticages en 1962 : rectorat, centres d’impôts, bibliothèque et mairie.
  • Des milliers de tonnes d’archives de gestion, laissées sur place. Archives de souveraineté représentent 1/20 à 1/30 du total ; ce sont les documents de la politique algérienne de la France et des Gouverneurs. Elles comprennent les archives du Gouverneur général, celles des Directions du G.G. et dans les départements, les archives des cabinets et de la police.
  • Rapatriement préventif et confidentiel en 1960. Difficulté de transport, manque de personnels. Contrôles gendarmerie. 30 tonnes archives Préfecture de Police brûlés. Archives région à l’abandon sous les voutes du port.
  • 150 tonnes au CAOM. Centre ouvert en 1966 par Pierre Boyer .
  • Revendications algériennes sur les archives antérieures à 1830, considérées comme monnaie d’échange par certains diplomates. Comité franco -algérien créé en 1980. Échange de microfilms. Décision Chirac du 16 juin 1980 : archives de souveraineté sont inaliénables, elles font partie de notre patrimoine historique.

Les lieux de mémoire

  • Centre historique des Archives nationales, Madame de Boisdeffre
    • Section du XXème siècle, rue des 4 Frères. I.Neuschwander.
    • CAC Fontainebleau, après 1958.
    • CAOM, Aix en Provence.
  • Archives militaires : Vincennes, Le Blanc, Limoges, Toulon, Pau (BCAAM), DGSE,
    - Direction des Archives et de la Documentation des Affaires étrangères. M.Roé d’Albert.
    • Quai d’Orsay, archives du Secrétaire d’Etat aux Affaire algériennes. Carole Bezit.
    • CAD Nantes, archives du DGGA et de l’Ambassadeur. Annie-France Renaudin.
  • Service central des rapatriés (Agen)
  • Fondation des Sciences politiques (Debré, Delouvrier, Vaujour)
  • OURS (G.Mollet) - Mendès-France- ORA (gal Roidot)
  • SATI de la Préfecture de Police - CDHA Aix (Schoen) - Hoover Stanford (Godard)
  • Archives algériennes, fermées à Gilbert Meynier, ouvertes à Sellam Sadek
    • Archives Kadour. Revue Sou’al. Sept.87. Fédération FLN Francfort. Amar Ladlani demande rapport sur exécution des harkis de Paris.
  • Archives des journaux. Bibliothèque nationale.

Les ressources militaires

  • SHAT. 5000 cartons. Séries 1H, 1R, 7U et 50 T. Entrées extraordinaires (H.Lemoine), archives privées et orale des OGX : Ely, Heux, Olié, Mathon, Crépin, et des col. Thomazo, Parisot, Lacheroy, Cdt François, Francine Dessaigne, Vitalis Cros.. etc...
  • SHAA 2000 cartons, 90 témoignages oraux (Challe, Cdt Air au Maroc)
  • SHM. 1000 cartons. ARDHAN (Recherche aéronautique)
    • ECPA : 95.000 photos + 55.000 Bled et 14.000 Flamant
    • CMIDOM, caserne Artois Versailles, JMO des regiments TDM.
    • Autres témoins : Barakrok, Pères blancs, Mario Faivre, Jean Servier, colonel Puille, Cdt Muelle, docteur Sauve Hotel-Dieu, instituteur Gebhart, Procureur de Caen.. etc..

Les ressources non militaires (Agnès Goudail, colloque Ageron nov.2000)

  • CHAN avant 1958. CAC ensuite.
    • Archives Auriol, Coty, de Gaulle (gérées par Amiral), Droit de Grâce
    • Conseils des ministres, des Affaires algériennes (notes R.Belin), Défense nationale, Commission de Sauvegarde, FAS (Massenet), Conseil sup. Magistrature
    • Min. Intérieur, Polices RG, PJ, groupe C
    • Min. Info et Min.Economie.
  • CAOM. 1500 articles de 1936 à 1963. S/Direction Algérie du Min. Intérieur.
    • Assemblée algérienne. Cabinet et Directions du Délégué général.
    • Affaires musulmanes. Centre info et études (CIE). SLNA. Parlange.
    • Sûreté nationale, RG, PAF, partis politiques,
    • Départements : Cabinet, Police, Cultes, Tribunaux administratifs
    • Sous-Préfectures et Communes mixtes. SAS Algérois et Constantinois.
    • Affaires judiciaires. OCRS.
  • Affaires étrangères. 284 articles de 1968 à 1963.
    • Quai d’Orsay : Cabinet du ministre, SEAA (Carole Bezit)
    • FADN. Dossiers du Délégué général et de l’Ambassade. (AF Renaudin).

Difficultés rencontrées

  • Dérogations pour vérifier témoignages Aussaresse et Louisette (JMO régiments paras)
  • Dérogation pour militaires disparus (divergences de 200 à 1000). Demande 29-1-2002. Jugement Boupacha libérée 3 mai 1962 à Caen.
  • Commission Patin. Dérogations 29 août et 4 décembre 2002.
  • Archives Police CAOM.

Les recherches entreprises sur les disparus.
Selon statistiques, 375 Européens et 13.000 Musulmans disparus avant le 19 mars. 3.018 Européens enlevés du 19 mars au 31 décembre, 1.245 libérés et 1.773 disparus.

Les statistiques sont imprécises pour les militaires disparus (de 200 à 1.000). Le nombre des harkis massacrés après enlèvement est évalué de 60 à 80.000. On estime que 7.000 supplétifs sont détenus en 1962, 25.000 en 1964 et 13.500 en 1965.

Les familles des disparus s’efforcent sans succès d’intervenir auprès des consuls pour obtenir des informations sur le sort de leurs proches, et en cas de décès présumés, sur les lieux de sépulture. Elles s’adressent au Comité international de la croix Rouge, dont les rapports sont gardés secrets. L’Ambassadeur de France intervient en faveur des harkis et négocie le rapatriement de ceux qui le demandent.

Le 29 juin 1962 se constitue l’Association de défense des droits des Français d’Algérie (ADDFA). Dirigée par l’ancien ministre R. Bichet, elle est animée par JY. Chevallier et le général Bouvet, soutenue par le cardinal Feltin et Mgr Rodhain, mais pas par Mgr Duval ni par la Ligue des droits de l’Homme. Des enquêteurs envoyés en Algérie, comme le P.Boz, ne recueillent que des renseignements négatifs. Leur impression est que tous les disparus d’avant l’indépendance ont été tués. En 1965, ils parviennent à la conviction qu’il n’y a pas de survivants.

Telle n’est pas la conviction des Jordan, qui en 1967 créent l’Association de sauvegarde des familles et enfants de disparus (ASFED). Le capitaine Leclair établit une liste de 2.000 disparus, mais il estime que leur nombre dépasse 4.000. Il publie en 1982 un livre qui fait état de ses certitudes, sans apporter de preuves. Plusieurs familles lui reprochent d’avoir suscité de faux espoirs.

Les débats parlementaires ont permis au sénateur Dailly, en 1963 et 1964, d’interpeller le Secrétaire d’Etat de Broglie, en se fondant sur des rapports obtenus des chefs d’entreprise. Il a la certitude que certains disparus sont encore vivants. Cependant J. De Broglie incite les familles à reconnaître le décès présumé de leur disparu. Certaines abandonnent les recherches.

En 1993, l’ancien ministre A. Santini répond à un questionnaire en faisant état de 25.000 Européens disparus et 150.000 harkis massacrés. Dans une lettre du 9 novembre 1994, il revient à l’évaluation de J. de Broglie, (3.018), mais le chiffre de 25.000 reste un article de foi pour certains. Le problème des disparus est désormais suivi par le Souvenir des Français disparus en Algérie (SFDA), et par l’Association des Rapatriés mineurs et des Pupilles de la nation (ARMR), dont la vice-Présidente Madame Ducos-Ader se montre très active dans les démarches auprès des autorités officielles, Le problème des militaires disparus est suivie par un groupe de l’Union nationale de combattants (UNC) présidé par Oswald Callegari et JP Roche.

Les recherches des familles sont complémentaires : exemples de Mesdames Montero, Ducos-Ader, Leblanc-Astier, Pierrette Gex.

Étant toujours dans une incertitude intolérable, les familles estiment avoir le droit de savoir. Dans le cadre de l’année 2003 de l’Algérie, elles souhaitent :

  • La reconnaissance par l’Etat tant de leurs souffrances que des préjudices subis.
  • L’accès à toutes les archives concernant les enlèvements.
  • Le rétablissement de la vérité historique par une commission paritaire qui devrait établir un rapport complet sur les tenants et aboutissants du problème des disparus.

Les recherches récentes
Dans le but de faire la vérité sur le drame des disparus, et d’aider les familles à faire leur travail de deuil, une équipe d’historiens s’est constituée en octobre 2002. Elle comprend

  • Mgr Pierre Boz, exarque patriarcal des Melkites catholiques, qui a fait des recherches en Algérie dans les années 60,
  • Jean Monneret, historien et témoin des disparitions,
  • Mohand Hamoumou, sociologue, président d’association de harkis (AJIR),
  • Maurice Faivre, vice-président de la Commission française d’Histoire militaire.
    Nous avons demandé au Premier ministre l’ouverture des documents détenus au Centre des archives diplomatiques de Nantes et au Quai d’Orsay, et des archives militaires détenues à Vincennes. Après étude au niveau de la Mission interministérielle aux rapatriés, en liaison avec l’Elysée, le général Abrial, chef de cabinet militaire, nous a confirmé par lettre du 20 février 2003 que le Premier ministre a demandé aux ministres concernés d’examiner avec bienveillance vos demandes d’accès aux archives.

Pas de réponse du Ministre de la Défense.

  • Le ministre des Affaires étrangères a répondu rapidement à cette demande en nous adressant le 17 avril le rapport du CICR d’octobre 1963, resté secret jusqu’à aujourd’hui, et qui présente un intérêt historique et humanitaire évident.
    • il montre que la Croix Rouge n’a pas ménagé ses efforts pour venir en aide aux familles, en obtenant l’accord des autorités algériennes, en engageant sur le terrain pendant six mois 13 à 20 enquêteurs, et en visitant 2.500 harkis dans les lieux de détention,
  • faisant état de 1.200 demandes de recherche, sur un total de 1.500 présumés disparus dont 80 militaires, il dément les évaluations traumatisantes de certains auteurs (Raphaël Delpard est le dernier), qui font état de 25.000 Européens enlevés en 1962,
  • il confirme que 70% des disparus sont décédés et 20% présumés décédés,
  • il souligne les difficultés rencontrées, venant d’individus sans scrupule qui ont monnayé de fausses informations, d’autres ayant refusé de témoigner, et de l’impossibilité d’accéder à une vingtaine de camps militaires ; il montre donc qu’il reste des zones d’ombre, en particulier sur le sort des supplétifs.

La diffusion de ce rapport risque sans doute de traumatiser les familles. Il a été adressé aux membres du HCR, en attirant leur attention sur le fait qu’il ouvre la voie à de nouvelles recherches sur les enquêtes individuelles, afin de permettre d’établir un rapport détaillé sur le problème des disparus. La direction ANEMO des Affaires étrangères s’est saisie du dossier en vue d’accorder les dérogations nécessaires à toutes les familles qui le demandent, en les contactant par le biais des Associations. Madame Renaudin, conservateur chef du CADN m’a adressé le 23 septembre la liste des 1130 disparus ayant fait l’objet de l’enquête de 1963.

La même démarche est espérée du ministère de la Défense.

Entre temps, le travail de sensibilisation a été poursuivi par notre équipe de recherche et par les familles de disparus, qui ont adressé un rapport complet à M. Diefenbacher, chargé de mission, et qui ont rencontré le Président du Sénat et le sénateur Guéry, les députés du groupe d’études sur les Rapatriés présidé par Christian Kert, et M. Douste-Blazy.

Comme il l’a fait pour les harkis, l’État devrait reconnaître les souffrances et les préjudices subis (exode, massacres et enlèvements) par les rapatriés européens et musulmans, qui en 1943-44 ont grandement participé à la Libération et qui depuis 1962 ont donné à la France une pépinière de cadres et de travailleurs (étude de René Mayer).

Que peut-on attendre de ces recherches ?
Confirmation de la présomption des décès - Vérification des noms (à comparer avec listes cap. Leclair) et du nombre des disparus.
Compte-tenu difficultés rencontrées par le CICR en 1963, il paraît douteux que l’on puisse obtenir la coopération de l’Algérie, 40 ans après, pour découvrir des charniers, sauf à trouver sur place des témoins de bonne foi (aide éventuelle des supplétifs, exemple G.)

Maurice Faivre 27 septembre 2003

Difficultés personnelles rencontrées

  • Dérogations pour vérifier témoignages Aussaresse et Louisette (JMO régiments paras)
  • Demande du 28-1-01. Refus 29 mars . Recours à CADA le 5 avril. Séances CADA 3 et 17 mai, 14 juin, avis favorable du 27 juin. Lettre Directeur Cab. du 17 septembre restreint dérogations. Lettre à Cab.mili. Avis favorable Gal Mignot
  • Dérogation pour militaires disparus (divergences de 200 à 1000). Demande 29-1-2002. Intervention Mekachera juin et août 2002. Refus 5 décembre 2002. Relance 1er mars 2003. Soutien Com. Remontet juin 2003. X. Defurt non joignable.
  • Jugement Boupacha libérée 3 mai 1962 à Caen. Lettre Me Jacomet 13 déc. 2002 à Tribunal Grande Instance. Réponse Greffier le 13 janvier 03 (archives non détenues). Archives départementales Calvados, dossier éliminé selon législation en vigueur.
  • Commission Patin. Dérogations 29 août et 4 décembre 2002. Lettre à madame de Boisdeffre le 10 avril 2003, demande citer noms qui sont du domaine public (Vergès, Halimi, Vidal-Naquet etc..). Réponse négative du 20 mai. Respecter anonymat des torturés et des tortionnaires. Appel à CADA, examen le 11 septembre, réponse attendue.
  • Archives services de police Alger refusées par CAOM.