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De la guerre des peuples à la guerre des robots ?

mardi 16 avril 2013, par Maurice Faivre

«  Le peuple en masse est très courageux  », affirmait MACHIAVEL, qui faisait reposer la puissance de l’Etat sur « une milice de citoyens, et sur la fusion des convictions civiles et du loyalisme guerrier  ». Inspirée de l’exemple romain, la participation des citoyens à la défense et à la guerre prend à l’origine deux formes :

  • celle de l’armée de milice suisse, qui est en fait une armée de réservistes, nombreuse, identifiée à la nation dans le cadre d’une stratégie dissuasive, englobant la protection des populations et la défense économique, diplomatique et spirituelle,
  • celle de la Révolution armée de 1793, qui utilise simultanément l’idéologie nationale et la terreur pour mobiliser toutes les potentialités de la patrie en danger. Expérience novatrice, la levée en masse inaugure la guerre des nations et des peuples, et ébauche les formes futures de la guerre : révolutionnaire, psychologique, industrielle et scientifique.

De 1800 à 1950, ces deux modèles originaux sont imités par les États-nations et adaptés à leurs traditions et à leur culture :

  • le peuple prussien en armes perfectionne le système de la levée en masse pour libérer le territoire en 1813 et unifier la nation allemande en 1866-70. Mobilisée incomplètement au début des guerres de 1914 et 1939, l’Allemagne est conduite aux extrêmes de la guerre totale après échec de la guerre courte d’anéantissement.
  • alors que les conceptions de GAMBETTA et de la Commune de Paris sont improvisées ou utopiques, la France s’inspire du modèle allemand pour réarmer physiquement et moralement la France de 1914 . Elle fait alors l’apprentissage de la guerre des masses et de la mobilisation industrielle. La même conception, qui à maints égards rappelle celle de JAURES, échoue en 1940 par manque d’imagination et de détermination. L’idée de défense globale se perpétue de façon imparfaite de 1945 à 1989.
  • les pays anglo-saxons sont contraints au moment des grands périls de rompre avec la stratégie périphérique et avec leur conception libérale du volontariat, pour improviser le rassemblement massif de leurs potentiels, et inventer le management de l’entreprise guerrière.
  • les socialismes en armes sont partagés entre la tradition milicienne, renouvelée par MAO et TITO, de la guerre révolutionnaire, idéologique et populaire, et la politique stalinienne de puissance, qui repose sur la centralisation militaire, sur la militarisation de la société et de l’économie, sans exclure des actions indirectes de déstabilisation de l’adversaire.

La Nation armée, qui consiste à rassembler dans la défense de la nation toutes les ressources humaines, matérielles, intellectuelles et morales du pays, présente donc des modèles spécifiques, conformes au génie de chaque peuple. L’analyse comparative des données démographiques, politico-sociales, financières et stratégiques (analyse qui ne peut être développée dans un court exposé), montre que cette diversité des systèmes doit être corrigée par l’observation de leurs convergences : le facteur de masse, la motivation populaire et la direction globale de l’Etat, tellles sont les bases permanentes des Nations armées. A côté de ces convergences générales apparaissent des similitudes institutionnelles, qui sont fonction des buts poursuivis par les dirigeants politiques : conserver - conquérir- commercer - renverser le pouvoir.

La Nation armée n’est pas - n’était pas - un concept théorique rigide, mais un système vivant qui se transforme en utilisant le progrès technique et social. Au nombre des hommes s’est ajouté le nombre des armements (1914), puis la puissance des armes (1945). Pour un soldat, il faut désormais mobiliser 4 à 6 producteurs économiques et agents de la protection civile, en recourant au service des femmes, des étrangers et des prisonniers. Le coût des matériels, qui au 19ème siècle ne dépassait pas 10 % du budget militaire, atteint dès lors 40 à 50 %.

Vers 1950, les bases de la Nation armée sont remises en cause par la révolution nucléaire, puis technologique. La dissuasion démobilise les citoyens ; il faut davantage de contribuables que de combattants ; la détermination du pouvoir se fait plus hésitante face à une opinion publique qui pèse dse plus en plus sur ses décisions ; dans les pays anglo-saxons, les « forces in being » ( »all volunteer » )remplacent les armées de masse.

Un nouveau bouleversement se produit avec la chute du mur de Berlin. Il n’y a plus d’ennemi unique, mais des risques diffus et des menaces latentes, sur tous les continents : maintien des arsenaux russes et ukrainiens, prolifération des missiles et des armes NBC, luttes ethniques, nationalismes agressifs, intégrisme religieux, pression démographique du sud, famine et drogue. Dans les pays industriels, cette évolution se combine avec le vieillissement des populations, l’augmentation des dépenses de santé et de retraites, la crise économique, la montée de l’individualisme, les interrogations relatives aux alliances et aux ententes régionales.

La multiplication des facteurs d’incertitude ne simplifie pas les problèmes de défense. Quel ennemi ? Dans quel environnement économique, social, international ? Avec quels moyens humains et matériels ? Il n’y a pas de réponse simple. Les difficultés du recrutement des soldats incitent certains à faire confiance à la technologie, et à remplacer les hommes en armes par des robots. « Zéro morts », selon les uns ; « la guerre de 100 secondes » selon les autres. Il est vrai que face à des adversaires potentiels, qui peuvent se procurer des armements modernes, disponibles sur le marché à bas prix, les armées ont besoin de recourir aux technologies les plus avancées. Il est certain que l’informatique, l’optronique, la furtivité, les hyperfréquences, le traitement des signaux...etc... apportent aux systèmes d’armes des capacitées encore insoupçonnées (1). Des esprits futuristes imaginent même la lutte d’essaims de robots aéroterrestres, organisés en réseaux, l’intervention humaine étant réservée aux fonctions nobles (estimation de situation et décision politique).

La voie technologique est-elle suffisante ? Est-elle absolument efficace ?

Les conflits récents montrent qu’elle peut être contournée. Les capteurs américains n’ont pas arrêté les mouvements du Vietminh sur la piste HO CHI MINH. Les satellites d’observation et les AWACS n’ont pas repéré tous les SCUD irakiens. Le recours aux frappes chirurgicales n’a pas permis d’éliminer SADDAM HUSSEIN, ni le Général AIDID. Face au Koweit, il a fallu mettre en place, en 6 mois, des masses de soldats, et il en faudrait des masses pour neutraliser les peuples qui s’opposent en ex-Yougoslavie. Enfin, il n’existe pas de gadget capable de tout savoir sur « l’autre », et seul le jugement de l’homme assure la qualité du renseignement.

Il semble donc que pour apaiser la guerre des ethnies, aussi bien que pour assurer la survie de nos sociétés, il faut sans doute des armements perfectionnés, mais aussi des citoyens motivés, des gouvernants déterminés, et des combattants d’action rapide, soutenus par des réservistes disponibles et instruits.