Accueil > Articles > La guerre d’Algérie, un conflit sur-médiatisé

La guerre d’Algérie, un conflit sur-médiatisé

Colloque de Bucarest, 8 août 2003

jeudi 25 juin 2015, par Maurice Faivre

Si le soulèvement du 1er novembre 1954 ne provoque pas de campagne d’opinion, c’est sans doute parce que les "évènements" d’Algérie - ainsi sont-ils prudemment désignés - sont d’abord minimisés et n’inquiètent pas les autorités. Rapidement cependant, des intellectuels français liés au nationalistes du Maghreb et engagés dans l’idéologie anticolonialiste prennent position contre les excès de la répression, sans se préoccuper des excès du terrorisme. Les dirigeants de la rébellion prennent alors conscience que les médias sont une arme de guerre qui leur donne des points face à l’opinion algérienne, métropolitaine et internationale. Ils utilisent désormais abondamment les moyens de la presse et de la radiodiffusion, avec le concours des pays arabes et socialistes [1] [2] [3] [4]

Du côté français, les médias d’Algérie et de métropole diffusent les informations sur la situation de façon dispersée, en fonction de leurs intérêts économiques et des préoccupations particulières de leur lecteurs et auditeurs. L’envoi du contingent en Algérie suscite un intérêt de plus en plus grand de la part des familles et favorise l’utilisation du transistor. Seuls les militaires ont une doctrine d’action, et même de guerre psychologique, qu’ils développent pour soutenir le moral des troupes, convaincre les populations, affaiblir le moral de l’adversaire et attaquer sa propagande, souvent avec succès. Mais l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, qui utilise avec une grande maîtrise télévision et conférences de presse, modifie les données de la situation médiatique. L’armée perd ses possibilités d’action autonome. Une collusion de fait s’établit entre l’information du pouvoir et la contestation diffusée par les médias anticolonialistes, elle fait basculer les opinions en Algérie, en métropole et dans le monde [5]. [6]

Cet article ne prétend pas constituer une analyse exhaustive de l’évolution des médias, il en éclaire quelques aspects caractéristiques, en soulignant les manipulations de l’opinion, que l’on jugera amusantes ou accablantes selon que l’on se place dans un camp ou dans l’autre.

La guerre initialement sous-estimée par la presse.
Les liens entre les journaux d’Algérie et la grande colonisation sont connus. On sait que l’Écho d’Alger d’Alain de Sérigny et la Dépêche de Constantine des frères Morel sont à la dévotion de Borgeaud et de René Mayer, que la Dépêche algérienne a des liens avec l’armateur Schiaffino, le Journal d’Alger avec Georges Blachette, roi de l’alfa et ami du maire Jacques Chevallier. On sait aussi que ces patrons de presse prirent des positions politiques, la plupart en faveur de l’Algérie française, ce qui leur valut des difficultés avec la justice [7].

Les liens de la presse parisienne avec les milieux économiques sont également connus, telle la direction de l’Aurore par Boussac, et de l’Express par JJ Servan-Schreiber. Mais en revanche on passe sous silence le rôle de la banque Worms dans la création de France-Observateur, en 1950, et l’influence de la Banque de Paris et des Pays-Bas sur Hachette et les messageries parisiennes (NMPP). Tous ces organes de presse ne manqueront pas de peser sur le conflit algérien [8]

A vrai dire, ils mettront tous un certain temps avant de comprendre ce qui se passe en Algérie. Les premiers commentaires mettent l’accent sur le lien entre les affaires tunisiennes et marocaines (le Monde), sur le soutien apporté aux fellaghas tunisiens (France-Soir) ou sur l’existence d’un chef d’orchestre invisible (Paris-Presse) qui ne peut être que Nasser (Le Figaro). Mendès-France souligne les encouragement venus de l’extérieur (Dépêche du Midi). Libération cependant met en doute l’influence arabe, tandis que l’Humanité condamne la répression. Le Monde publie le projet des réformes du Gouverneur Soustelle, qui sont critiquées par l’Aurore.

Quant aux journaux algériens, ils présentent une image tronquée de la rébellion, assimilée à du simple banditisme. Zahir Ihaddaden y voit une manipulation de l’opinion, fondée sur l’idéologie coloniale, exaltant la grandeur et la souveraineté française, ignorant totalement la réalité de la révolution algérienne. Selon l’Echo d’Alger, les montagnards descendent dans la plaine pour bénéficier de la protection de l’armée. Même le maire Jacques Chevallier affirme le 10 novembre 1954 que 99% de la population réprouve les récents troubles. La thèse du complot, résultant de la collusion entre le parti (MTLD) de Messali Hadj et le parti communiste, et bénéficiant de l’appui de la Ligue arabe, à la faveur de certains commentateurs (1).

L’évolution de la guerre d’Algérie donnera lieu à des batailles d’opinion provoquées par les événements majeurs de ce conflit : les complots du 13 mai 1958, l’affaire des barricades, le procès Jeanson, le putsch, la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, les attentats de l’OAS et le cessez-le-feu. En revanche, le massacre des harkis et les enlèvements d’Européens en 1962 seront passés sous silence et considérés comme des tabous par la majorité des médias.

Contrôle de l’information et action psychologique
L’information de l’opinion par le gouvernement, et son corollaire naturel, la propagande, ne sont pas une nouveauté. Au bourrage de crâne de 1914-18 ont succédé les causeries de Giraudoux en 1939, la guerre des ondes entre Londres et Vichy, et le bureau ACPO (action politique) de Pleven en 1951. Considérant que "les journaux communistes... auxiliaires de 5ème colonne, répandent des fausses nouvelles pour créer la psychose hostile à la Défense nationale", le premier ministre Pleven s’attache à organiser une contre-propagande efficace, qui sera mise en sommeil en 1953.

Le général Ely confirme en 1955 que la propagande défaitiste venant de métropole fut la plus démoralisante pour les combattants d’Indochine (5) [9] . Dès juillet 1955 est mis sur pied un Bureau central de documentation et d’information (BCDI) confié au général Spillman, chargé de lutter "contre la propagande anti-française dans le monde arabe". Ce bureau sera rattaché aux services secrets ( SDECE) en avril 1957. Un Centre de diffusion française (CDF) lui succède en juillet 1957, ayant pour mission de combattre toutes les contre-propagandes qui insultent et calomnient le gouvernement, et de diffuser à l’étranger les buts de la politique gouvernementale (6) .
Les officiers de retour d’Indochine ont auparavant proposé une approche renouvelée de la question, et notamment le colonel Lacheroy, qui s’impose comme le principal théoricien de la guerre révolutionnaire, et autour duquel gravite une poignée de jeunes officiers convaincus par ses idées (Hogard, Prestat, Caniot, Souyris). C’est dans les premiers mois de 1956 que des mesures énergiques sont prises contre une certaine presse qualifiée d’antinationale. Nommé par le ministre de la défense Bourgès-Maunoury à la tête du Service d’action psychologique et d’information de la Défense nationale et des Forces armées (SAPIDNFA), Charles Lacheroy a alors pour tâche de "s’efforcer de faire de la presse une alliée sûre et avertie ". Il assume la redoutable fonction de censeur pour s’attaquer aux journaux que son ministre considère comme "une entreprise de démoralisation malfaisante". Des organes aussi réputés que France-Observateur, l’Express, Témoignage chrétien, Esprit et les Temps modernes subissent ses foudres à plusieurs reprises, en vertu de la loi sur les pouvoirs spéciaux de mars 1956, tandis que d’autres publications pratiquent l’autocensure, et que certaines ne résistent pas à des saisies répétées et disparaissent. Le journal communiste Alger Républicain a été interdit en septembre 1956, et en 1958 le journal des libéraux l’Espoir. Le directeur de l’Echo du Centre est condamné à un an de prison. Lacheroy représente même la Défense nationale à la Commission de contrôle des films cinématographiques ; c’est lui notamment qui fera interdire "les sentiers de la gloire" de Ernst Lubitsch.

Des actions de plus grande envergure sont parfois entreprises, telle l’arrestation de Claude Bourdet le 31 mars 1956, et la perquisition du domicile du professeur Henri Marrou le 10 avril.(7) Evincé par Chaban-Delmas, en février 1958, pour une queston sans rapport avec la nouvelle doctrine, Lacheroy deviendra responsable de l’information et de l’action psychologique auprès du général Salan après le 13 mai et jusqu’en décembre 1958.

Ihaddaden estime qu’il faut attendre l’arrivée du général de Gaulle pour que soit levé le tabou de l’Algérie française. En fait, le général hésitera longtemps avant de prendre sa décision finale. La Vème République sera encore plus stricte que la IVème en matière de censure, et l’action psychologique prendra des formes plus percutantes. L’Office de radio-télévision devient un outil de propagande gouvernementale. La gestion de l’information est accaparée par le pouvoir. La décision gouvernementale du 27 avril 1961 ira même jusqu’à interdire la diffusion des informations relatives à la rébellion de l’OAS(8).

Un des succès les plus marquants de l’action psychologique du général de Gaulle fut sans nul doute d’avoir persuadé les médias, grâce au montage des manifestations musulmanes du 10 décembre 1960, que tous les musulmans d’Algérie étaient favorables au FLN (9).

Les intellectuels contre la guerre (10).
Dès 1952 François Mauriac s’élève contre la répression au Maroc. Il prend pour argent comptant la déclaration de Ahmed el Allaoui, estimant que 1.000 manifestants des Carrières centrales de Casablanca ont été tués, alors que l’estimation officielle est de 32 morts. Claude Bourdet publie dans le même temps son article sur la Gestapo algérienne. En 1955, Mandouze publie des tracts FLN dans Conscience française, avec le soutien de Frossard, Mauriac et Suffert. La campagne de presse se poursuit en 1956 avec Robert Barrat et Henri Marrou, qui est soutenu par Mauriac. L’Express, le Monde, France-Observateur, l’Humanité, Franc-Tireur, Tribune des Nations et Demain participent à cette campagne.
Le dossier Jean Muller est publié par Témoignage chrétien en février 1957, et le témoignage du recteur Pereyga dans l’Observateur du 4 avril. Le 27 mars, le général de Bollardière approuve le livre tendancieux de Servan-Schreiber. Beuve-Mery, directeur du Monde, qui refuse d’aller en Algérie de peur d’être influencé par l’administration, prend la défense de Bollardière avant d’aller se jeter dans les bras de Jeanson (11).
Il faut rappeler que Albert Camus, qui avait critiqué la politique du Gouverneur Soustelle, abandonne l’Express après l’échec de la Trêve civile. Dans le Figaro, seul Philippe Barrès s’élève contre la campagne de démoralisation de l’armée.
Les années suivantes sont marquées par la publication de la Question de Henri Alleg et de la Gangrène, qui selon Pascal Kropp est un livre de propagande commandé par le FLN et regroupant des témoignages exagérés en vue de déstabiliser le patron de la DST Wibot(12). Ces ouvrages sont exploités par la presse, de même que le Memorandum du Comité Audin, le livre Djamila Boupacha de Giselle Halimi et Simone de Beauvoir, les débats du procès Jeanson et le manifeste pour l’insoumission. Le ministre de la défense a été amené à prendre la défense du colonel Simoneau, chef du Centre de coordination interarmées, chargé du renseignement, contre les accusations mensongères de Beuve-Méry

Indiscrétions des journalistes (13)
Le 2ème Bureau d’Alger s’efforce, parfois avec succès, de recueillir les indiscrétions des journalistes bien informés, qui fréquentent les bars de l’Aletti et du St Georges après être passé par Tunis ou Oujda. C’est ainsi que la description précise de la mine de Sakiet Sidi Youssef permet en février 1958 d ’orienter les bombardiers sur le bataillon ALN qui y stationne.
A partir de 1959, le Bureau d’Etudes et Liaisons (BEL) du colonel Jacquin développe ces contacts. Il obtient du journaliste britannique S.T., pour un million de francs, un film sur les camps de l’ALN en Tunisie ; ainsi sont localisés ces camps, en même temps que leurs chefs sont identifiés. Le journaliste P.L. de France-Observateur révèle le prochain retour en Algérie des chefs de wilaya, ce qui permet au BEL en mai 1960, d’intercepter le colonel Lotfi, chef de la Wilaya oranaise, de s’emparer de son poste radio, et de prendre la direction de la wilaya 5 pendant deux mois.
Héros ou propagandistes, se demande Philip Knightley au sujet des correspondants de guerre ? Les exemples qu’il donne des correspondants étrangers de la guerre d’Algérie montre que plusieurs d’entre eux ont pris le parti du camp qui les recevait, correspondant d’ailleurs à une opinion préconçue. Leurs récits, pris sur le vif, donnent l’image de la réalité du moment, mais énoncent quelques contre-vérités : ainsi la relation du soulèvement de mai 1945, les renforts mis en place avant le 1er novembre 1954, les massacres du 20 août 1955 et de Melouza. On ne peut faire confiance à cette histoire ponctuelle, qui est trop souvent ignorante de l’histoire récurrente(14)

Le journal le Bled et le limogeage de son directeur (15)
Créé par le général Lorillot en 1955 pour informer les soldats sur le terrain et les motiver, le Bled est subventionné par le Gouvernement général et diffusé dans les trois armées. Il est installé boulevard La Ferrière dans les locaux de la Dépêche algérienne.
En 1956, sa direction est confiée au commandant Caniot, Français d’Algérie, ayant l’expérience de la guerre psychologique en Indochine. Affecté en 1954 au Service information du ministre de la Défense, Caniot y a fait venir des spécialistes de l’action psychologique (Lacheroy ?). Envoyé en mission en Algérie en novembre 1954, il a fait un rapport sur la guerre psychologique qui a été apprécié par le général Blanc, chef d’état-major. Avec la bénédiction du général Salan, il fait du Bled un organe de combat pour l’Algérie française.
Tiré à 300.000 exemplaires, le Bled est diffusé en six éditions dont une en arabe, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en France et en Allemagne. Ses éditoriaux politiques, qui sont critiqués par les médias progressistes, sont soumis au commandement. En 1958, le ministre Chaban-Delmas y fait affecter Lucien Neuwirth, qui adopte la même ligne politique dans la perpective du complot gaulliste, qui aboutira au 13 mai.
Le numéro 109 du 10 mai, consacré à Jeanne d’Arc, affirme de façon prémonitoire que l’heure est venue de donner à la France un gouvernement de salut public. Le numéro du 16 mai fait appel au général de Gaulle. Le 6 août, le Bled évoque le système et ses tares, héritage de la Constitution de 1946. Il représente Mendès-France, défilant aux côté de Daladier contre les factieux d’Alger. Mendès-France proteste auprès du général de Gaulle, qui promet que l’officier responsable sera sanctionné.
Le Bled subit alors les invectives de l’Humanité, du Monde, de France-Observateur, de Paris-Match, du Canard enchaîné, de Témoignage chrétien, de la Dépêche du Midi et des Dernières Nouvelles d’Alsace. Le 28 septembre, le Cri du peuple revendique la mise au pas de Salan et du Comité de Salut public et célèbre le courage des combattants nationalistes. Le Bled y est décrit comme le journal des factieux.
Reçu par le général de Gaulle qui exige des sanctions, Salan n’a pas l’intention d’y donner suite. Il approuve le numéro spécial du 18 décembre qui fait le bilan de l’action de nos forces. Mais il est remplacé par le tandem Delouvrier-Challe. Caniot à son tour est muté au 12ème RCA, et la direction du Bled est transférée à Paris, d’où sa ligne éditoriale sera contrôlée par le gouvernement. Le commandant Caniot se ralliera au putsch en avril 1961.

Le FLN intoxiqué par l’armée française (16)
Chargé d’orienter la presse, le BEL réussit également à intoxiquer le GPRA en utilisant les journalistes qui sont bien en cour à Tunis. Ainsi Belkacem Krim est-il informé en février 1959 des ambitions du colonel Amirouche qui envisage d’aller à Tunis demander des comptes ; ce voyage lui sera fatal. Dix mois plus tard, est répandu le bruit de la vulnérabilité du barrage Nord ; cette information provoque le montage de l’opération Amirouche, qui se solde par la mort de 140 moudjahid et l’échec du franchissement.
En février 1960, le conflit qui oppose le capitaine Zouibir, commandant la mintaka 51, à la direction de la wilaya à Oujda, est amplifié par la presse algérienne et parisienne, ce qui entraîne l’intervention des Forces armées royales et l’arrestation de Zouibir. A la même époque, les nouvelles des wilayas 4 et 5, diffusées dans le bled sous forme journalistique par le colonel Fournier-Foch, chef du 2ème Bureau d’Orléansville, contribuent à la démoralisation du colonel Si Salah, chef de la wilaya 4, s’apercevant que les Français n’ignorent rien de son organisation, ce qui l’incite à demander la paix des braves.
En juillet 1960, l’interdiction faite aux journalistes d’aller en zone frontalière, fait croire au colonel Boumediene qu’une opération contre la Tunisie se prépare ; il fait replier ses bataillons les plus avancés.
L’intoxication la plus spectaculaire, de mars à juin 1960(17), vise le journal du FLN el Moudjahid, dont les morasses sont transmises de Tunis à Rabat par l’avion régulier qui fait escale à Alger. Orientés par Jacquin, des spécialistes de la guerre psychologique subtilisent la page centrale du journal et la remplacent par un texte de leur composition. Ainsi les lecteurs marocains ont-ils connaissance en mars de la nouvelle Charte du CNRA, instituant un régime marxiste et raciste, s’appuyant sur des tribunaux populaires et imposant aux Européens la loi islamique. En mai, la publication d’un ancien appel de Ferhat Abbas encourage les Algériens à participer aux élections, alors que le FLN en a ordonné le boycott. Le mois suivant, une carte géographique fait état des revendications algériennes sur Figuig et le Tafilalet. Les protestations de la diplomatie marocaine amènent le général de Gaulle à interdire la poursuite du caviardage. Dans son livre la guerre secréte en Algérie, le colonel Jacquin prétend qu’il conseille à Belkacem Krim, par téléphone, d’éviter le transit des morasses par Alger.
L’affaire Catena-Main rouge (18)
Selon le Monde du 21 août 1994,"le SDECE (Service secret français) a monté une organisation secrète baptisée Main Rouge pour perpétrer des homicides et des attentats contre des revendeurs d’armes et des chefs nationalistes algériens ". Il semble qu’il s’est agi d’une couverture pour le Service Action du SDECE, qui à partir de 1952 a recruté en Tunisie et au Maroc un noyau de contre-terroristes.
De 1957 à 1959 en Europe, le Service Action a monté des opérations homo et arma contre des traficants allemands et suisses (Otto Schlutter, Marcel Léopold, Georges Puchert) et contre leurs bateaux, ce qui provoqua de violentes réactions dans l’opinion allemande. La presse (Stern, Spiegel, Daily Mail, Aurore, Express) s’empara de l’affaire, elle attribua ces attentats à l’organisation Catena-Main Rouge. Il fut prétendu que le général Olié et Jacques Foccart en étaient informés. Un interview du chef de Catena, le colonel Condé dit de Sainte-Croix, fut proposé à la rédaction du Stern au prix de 20.000 DM. Pour finir Spiegel le paya 1.500 DM.
Le Sicherungs-gruppe s’intéressa à l’affaire et le commissaire Horn interrogea Alain Roy de l’Aurore en juillet 1959. Jacques Derogy se rendit en RFA en décembre. Mais ce n’est qu’en février 1961 que l’officier de police Delarue rencontra le commissaire Horn.
Le rapport très secret de la Sous-Direction des Affaires criminelles, signé Michel Hacq le 6 avril 1961, révéla qu’il s’agissait d’un canular monté par le chef de bataillon Garder, soviétologue connu et ancien des Services secrets, qui avait réalisé l’enregistrement du colonel fictif avec l’un de ses subordonnés du SGDN. Le but recherché était d’influencer l’opinion allemande et de prendre la défense de la civilisation occidentale (sic). Le rapport ne dit pas si Garder, qui s’amusa beaucoup de l’affaire, a été sanctionné.

La propagande du FLN(19)
Dès le début du conflit, le FLN bénéficie de l’appui de la Voix des Arabes, et des radios du Moyen-Orient, avant de constituer à Nador (Maroc) la chaîne de l’Algérie libre et combattante. Le brouillage de ces stations pose des problèmes mal résolus du côté français.
A partir de 1956, le Comité de coordination et d’exécution (CCE) fait adresser à quelques journaux parisiens (le Monde, Tribune des nations, l’Express, Témoignage chrétien) des documents sur la torture, redigés par Ouzegane.
En juin 1956, la direction du FLN crée El Moudjahid, journal bimensuel qui est d’abord édité à Tetouan avant d’être installé rue des Entrepreneurs à Tunis. Tiré à 3.000 puis 10.000 exemplaires, il comporte une édition en français et une en arabe, pour un prix qui passe de 100 à 20 francs anciens. Ses thèmes de propagande ont pour objectif de faire participer la population colonisée à la lutte de libération. L’analyse de ses 91 numéros, de 1956 à 1962, fait ressortir trois ou quatre axes principaux : populariser l’armée de libération (16% des articles), discréditer les forces ennemies (14,5%), internationaliser le conflit (38%), étudier les problèmes économiques (17%). Moins importants apparaissent les problèmes humains et moraux de la guerre, l’histoire de l’Algérie et son avenir politique .
L’importance croissante du thème de l’internationalisation montre que les débats de l’ONU sur la question algérienne sont peu à peu devenus le principal champ de bataille du FLN, conjugués aux voyages internationaux des dirigeants, aux réunions d’intellectuels et au respect des Conventions de Genève.
Le combattant algérien se compare au poisson dans l’eau de Mao. Il est le peuple en armes de la théorie marxiste, composé de paysans affamés. Le journal exalte sa discipline, ses exploits au combat, son armement moderne. Abane Ramdane, étranglé par ses pairs, devient un héros mort au combat. Le moudjahidine incarne le bien, il est humble et modeste, sensible et fidèle à l’islam. Des Commissaires politiques politisent les combattants et le peuple, condamnent les sévices de l’armée coloniale, ainsi que le génocide des regroupements de population, véritables camps de concentration. Un million de martyrs, tel est le prix payé pour la destruction du colonialisme et la reconquête des terres.
A l’inverse, le combattant français représente le mal absolu. Malgré sa bombe atomique,, l’armée coloniale est aux abois, le plan Challe est un désastre ; ses soldats tortionnaires, au service de la grande colonisation, sont corrompus et démoralisés. A ce discrédit intérieur, s’ajoute le discrédit extérieur d’une armée de l’OTAN et de l’Occident impérialiste, instrument d’asservissement du Tiers Monde. Violant les lois de la guerre, elle brûle les villages au napalm et torture les militants.
La résistance ininterrompue à des conquérants despotiques résume l’histoire de l’Algérie., État souverain en 1830, l’Algérie faisait la police en Méditerranée avant d’être militarisée par Abd El Kader. Elle n’est donc pas un mythe, elle se réclame de la résistance de Massinissa et de la révolte de Mokrani. Ayant réalisé la fusion des Arabes et des Berbères, elle s’est opposée à l’oppression économique, au vandalisme et à la spoliation. Elle a adopté en 1954 une stratégie révolutionnaire moderne, sans adhérer cependant au communisme. Les nationalistes algériens s’opposent en effet à la thèse de la nation en formation, qui fut celle du Parti communiste français.
Les problèmes économiques sont abordés sous deux angles : celui de la critique du plan de Constantine, opération diplomatique sans avenir, rejeté par les colons, au budget insuffisant, irréalisable tant que dure la guerre, et celui de la souveraineté algérienne sur les richesses du Sahara. L’aide du Maroc et de la Tunisie est souhaitée, mais sans ingérence.
A côté de ces thèmes présentés de façon manichéenne, les dirigeants du FLN n’hésitent pas à utiliser la désinformation, dont on se contentera de citer quelques exemples :
 le massacre de 300 Arabes des Beni Ilmane par les djounoud de la wilaya 3 et les kabyles de Melouza, le 19 mai 1957, est attribué par la presse nationaliste aux soldats des commandos noirs et aux policiers français,
 le franchissement du barrage par un commando qui le 24 juin 1959 est entièrement détruit à 10 km de Bône, est présenté par les radios arabes comme la prise de Bône,
 l’attaque d’Ain Zana le 13-14 juillet 1959 par plusieurs bataillons venant de Tunisie aurait abouti à la prise du poste et à la mort de 200 soldats colonialistes, alors que le BRQ de Constantine reconnaît que malgré la violence de l’attaque, un seul moghazni a été tué,
Des récits de feu ont été décrits après la guerre d’Algérie, dans le journal de l’armée nationale populaire El Djeich, contribuant ainsi à diffuser dans la jeunesse algérienne une culture de guerre, selon laquelle le FLN a remporté la victoire militaire sur le terrain (20) .
C’est ainsi par exemple que le combat du djebel Mzi, près d’Ain Sefra, se serait traduit par la mise hors de combat de 300 soldats français, alors que le rapport de l’aéronavale fait état de 2 morts, face à 73 djounoud tués, 23 prisonniers et 87 armes de guerre saisies. Noter que El Djeich situe ce combat en mai 1959, alors qu’il a eu lieu en mai 1960.
On ne peut pas souscrire à l’opinion de Zahir Ihaddaden selon laquelle la propagande du FLN était sérieuse, mesurée et nuancée. Il n’est pas douteux que ses résultats furent négatifs en ce qui concerne l’engagement des harkis, la relation des musulmans avec les Européens et les Juifs, la stérilisation des femmes et l’extermination des regroupements par la famine, mais qu’ils furent positifs pour le ralliement des partis modérés, le soutien des pays arabes et socialistes, et l’appui de l’opinion internationale et métropolitaine.
UN MODÈLE DE DÉSINFORMATION. La photo (non jointe) de Abane Ramdane publiée par le Moudjahid du 29 mai 1958
Un modèle de désinformation
La relance polémique des médias
Désarçonnés par les critiques exprimées contre les excès de cette guerre civile, guerre perdue par la France malgré l’action éducative et humanitaire de l’armée, les combattants ont généralement gardé le silence sur leur expérience guerrière. Ils ont cependant assuré le succès en 1972 des 112 numéros de Historia-Magazine consacrés à la guerre d’Algérie. Divisés au sujet de la date de commémoration des victimes de ce conflit, ils ont approuvé en 1999 la reconnaissance de l’état de guerre d’Algérie.
La visite en France du président Bouteflika a donné l’occasion au journal Le Monde de relancer la polémique sur la torture pratiquée par l’armée(21). Le témoignage d’une victime algérienne, et des généraux Massu et Bigeard, a été suivi des aveux par le général Aussaresses des sévices qu’il avait perpétrés et, dans l’Humanité, de l’Appel des douze pour la repentance de la France, et d’une thèse de doctorat sur la torture et l’armée. En décembre, le Président Chirac a reconnu que les atrocités pratiquées par les deux camps étaient le fait de minorités. Mis à la retraite d’office, Aussaresses fut condamné en justice(22), tandis que la polémique se poursuivait par le biais d’émissions télévisées,(23) ,auxquelles le Cercle pour la défense des combattants d’AFN répliquait par trois livres blancs (24).
L’approche du 40ème anniversaire de la fin de la guerre attirait l’attention des médias sur les victimes du conflit : Français d’Algérie et supplétifs musulmans (harkis). Alors que la plupart des journalistes rappelaient les enlèvements et les massacres de 1962, les militants proches du FLN reprenaient l’accusation de violence coloniale, et contre les harkis, de collaboration et de sévices. Une autre exploitation mensongère est celle de l’association patronnée par Olivier Lecour-Grandmaison, qui décuple le nombre des victimes de la répression du 17 octobre 1961 à Paris (25).
La relance de cette "bataille des mémoires" ne favorise pas le travail de recherche des historiens. Elle ne peut produire que des effets pernicieux sur l’opinion :
 les soldats (1,4 million) qui ont fait leur devoir en Algérie, les rapatriés français et musulmans en sont écœurés,
 les militants du FLN, leurs complices et les anti-militaristes traditionnels poursuivent leur combat contre la France,
 les maghrébins travaillés par la propagande islamique, y trouvent argument pour renforcer leurs sentiments de haine.
Reconnaissant que les deux camps se sont rendus coupables de brutalités, et observant que l’opinion populaire est plus avancée que celle des dirigeants, Mohammed Harbi, historien du FLN, estime qu’il serait temps de dire enfin que la guerre est finie (26) .

Maurice Faivre et Paul Villatoux

(1) -Zahir Ihaddaden. La désinformation pendant la guerre d’Algérie. p.363.
in Militaires et guerilla en guerre d’Algérie. Complexe.2001
 La propagande du FLN. in La guerre d’Algérie et les Algériens. A.Colin. 1997.
 Hervé Hamon- Patrick Rotman. Les porteurs de valises. A.Michel. 1979.

(2)- Jacques Frémeaux. La France et l’Algérie en guerre. Economica. 2002.

 Villatoux Paul et Marie-Catherine. La guerre et l’action psychologique en France. Thèse Paris I. mars 2002.

(3) J.Frémeaux, op.cit.- Claude Paillat. Vingt ans qui déchirèrent la France. R.Laffont. 1972.

(4) on rappellera que Edgard Faure provoqua en duel JJ Servan-Schreiber.

(5) Commandant en chef en Extrême-Orient. Enseignements de la guerre d’Indochine. 1955, p.15 - P. et M.C.

Villatoux, op.cit. et : la menace de subversion communiste dans les forces armées (1949-1950). RHA n°2/1999.

(6) Caroline Ollivier-Yaniv. L’Etat communiquant. PUF. 2000 - Martin Harrison. Government and press in France during the algerian War. The american political review. 2/1964.

(7) Michel Winock. La République se meurt. Chronique 1956-1958. Folio-Histoire. 1985 - Patricia Hubert-Lacombe. Le cinéma français dans la guerre froide. 1946-1956. L’Harmattan. 1996.

(8) Frémeaux, op.cit. - Hamon-Rotman, op.cit. - C. Lacheroy. Histoire orale. 1997. SHAT. 3K18.

Christian Barthélemy, dans les saisies de journaux en 1958, BDIC 1992, établit que la IVème République saisit 13 journaux par an en métropole et 32 en Algérie, alors que pour la Vème République les saisies sont de 44 et 69 par an. 36% des informations interdites concernent l’armée française, 30% les Français d’Algérie et les Comités de Salut public, 20% le FLN. Les articles sur les terroristes, leurs complices et les insoumis sont caviardés.

(9) Jean Vaujour. Archives orales. 3K5. SHAT 1999.

(10) Georges Spillmann. Du protectorat à l’indépendance. Maroc 1912-1955. Perrin 1981.
 Hamon-Rotman, op.cit.

(11) Cécile Romane. Les téméraires. Flammarion. 1993

(12) Roger Falligot et Pascal Kropp. DST police secrète. Flammarion. 1995. p.183.

(13) Historia-Magazine n° 84 et 315. Navigation en eau trouble - Des oreilles chez l’ennemi,
 Henri Jacquin. La guerre secrète en Algérie. Olivier Orban. 1977. p. 224, 229, 237.
 Michel Forget. Guerre froide et guerre d’Algérie. Témoignage sur une période agitée. Economica. 2002.

(14) Pilipp Kneightley. Le correspondant de guerre, de la Crimée au Vietnam. Héros ou propagandiste ? Flammarion. 1976.

(15) - Guy Caniot. Le Bled et son limogeage. Algérianiste. Juin 1998.

(16) H.Jacquin, op.cit. - Historia-Magazine, op.cit. - M.Faivre. L’ALN extérueure face aux barrages, in Guerre d’Algérie. La défense des frontières. Les barrages frontaliers. CFHM. 1997.p.93.

(17) et non 1958 comme l’écrivent Ihaddaden et Albert Fitte

(Archives du SHAT. Fonds privé Messmer. 1K 744/4. dossier 9. Les deux livres suivants, plus ou moins romancés ne sont pas fiables : - Constantin Melnik. Un espion dans le siècle. Plon. 1994
 Antoine Melero. La main rouge. Ed. du Rocher. 1997.

(18)- Albert Fitte. Spectroscopie d’une propagande. El Moudjahid du temps de guerre. Université de Montpellier. 1995.p.183
(18)- Ihaddaden, op.cit.- Hamon-Rotman, op.cit. - Collectif, Défense des frontières, op.cit.
 CR Ageron. La guerre psychologique de l’ALN. in La guerre d’Algérie et les Algériens. A.Colin. 1997.

(20) El Djeich. Organe de l’ANP. Collection BDIC. 1964-66 - La bataille du djebel M’Zi, in Revue historique des Armées 3/1995.

(21) Le Monde des 22 et 25 juin 2000 - L’Humanité du 31 octobre - Thèse de Raphaëlle Branche, disciple de Pierre Vidal-Naquet, à l’IEP le 5 décembre. L’auteur du présent article, cité à l’ordre de l’Humanité le 18 mars 2002 : Insulte du général Faivre contre Henri Alleg ; a obtenu un droit de réponse publié le 11 avril 2002.

(22) Condamnné en appel en février 2003 pour apologie de crimes de guerre, à 7.500 euros d’amende.

Noter que dans le même temps, les terroristes et tortionnaires algériens (Zirout Youssef - colonel Amirouche -Yacef Saadi..etc..) sont célébrés comme des héros.

Réf. Mohammed Ben Yahia. La conjuration au pouvoir. Récit d’un maquisard. Arcantère. 1988.

(23) Films de Patrick Rotman (l’ennemi intime), d’Hervé Bourges (Un parcours algérien- Naissance d’une nation) et d’André Gazut (la pacification en Algérie ). Pièces de théâtre contestataires à Avignon, Dijon et Paris.

(24) Mémoire et Vérité des combattants d’AFN. L’Harmattan 2001 - Le livre blanc de l’armée française en Algérie. Contretemps 2002 - La France en Algérie. Les réalisations, l’héritage, mai 2003 -

(25) Marcel Péju dans Jeune Afrique-l’Intelligent du 27 février 2001. Le Cercle pour la défense des combattants d’AFN a obtenu la condamnation du journal et de Péju pour diffamation publique

 Le professeur d’histoire El Korso est scandalisé par la présence d’un ministre harki aux côtés du Président Chirac en Algérie (journal d’Alger Le Matin, 5 mars 2003).

L’association pour la mémoire du 17 octobre 1962 est sans doute à l’origine de la manifestation antifrançaise lors du match France-Algérie.

(26) Le Monde du 4 mars 2003.


[1Zahir Ihaddaden. La désinformation pendant la guerre d’Algérie. p.363

[2in Militaires et guerilla en guerre d’Algérie. Complexe.2001

[3La propagande du FLN. in La guerre d’Algérie et les Algériens. A.Colin. 1997

[4Hervé Hamon- Patrick Rotman. Les porteurs de valises. A.Michel. 1979

[5Jacques Frémeaux. La France et l’Algérie en guerre. Economica. 2002.

[6Villatoux Paul et Marie-Catherine. La guerre et l’action psychologique en France. Thèse Paris I. mars 2002

[7J.Frémeaux, op.cit.- Claude Paillat. Vingt ans qui déchirèrent la France. R.Laffont. 1972

[8on rappellera que Edgard Faure provoqua en duel JJ Servan-Schreiber

[9Commandant en chef en Extrême-Orient. Enseignements de la guerre d’Indochine. 1955, p.15 - P. et M.C.