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L’Algérie indépendante. L’ambassade de Jean-Marcel Jeanneney (juillet 1962-janvier 1963)

Liskenne Anne - A.Colin- ECPAD 2015, 283 pages.

lundi 25 juin 2018, par Maurice Faivre

Prenant la suite de Daniel Lefeuvre, Anne Liskenne, conservateur en chef des archives diplomatiques, analyse les documents de l’ambassadeur de France en Algérie, au 2ème semestre de 1962. Professeur d’économie et ancien ministre de l’industrie, JM Jeanneney est choisi en juin 1962 par le général de Gaulle, sans doute en raison de son approbation de l’indépendance de l’Algérie. Arrivant à Alger le 6 juillet, il s’installe au Rocher Noir puis à la villa des Oliviers et établit des relations suivies avec le Président Farès de l’Exécutif provisoire, puis avec Ben Bella, ses ministres Khemisti et Boumediene et avec Ferhat Abbas. Il dispose de 10 conseillers dans les services de l’ambassade et met en place 33 consuls, soit un effectif de 600 personnes.

Après une brève rencontre avec le général de Gaulle, qui lui donne autorité sur le Commandant supérieur, les premières instructions du gouvernement ne lui parviennent que le 9 août. Elles font le point de la situation de façon objective, reconnaissant qu’à côté des inégalités sociales, une économie moderne fait vivre le tiers des habitants, et que la pacification a été justifiée. Il est demandé à l’ambassadeur de nouer des liens nouveaux et d’engager la coopération avec l’Algérie, tout en respectant les garanties des Européens et la doctrine de non-engagement des nationalistes algériens.

Les conversations avec le gouvernement provisoire permettent de conclure plusieurs protocoles, dont celui des fonctionnaires français, de la mise en valeur du Sahara et du contrôle financier. Dès le 27 août, JM Jeanneney intervient pour dénoncer l’insécurité : enlèvements de Français, massacre de supplétifs, viols par des militaires, pillage et taxation des récoltes, saisie des biens vacants, réquisition des terres et des matériels agricoles.

Après l’élection du 29 septembre, c’est auprès de Ben Bella que l’ambassadeur élève ses protestations contre l’insécurité et contre la politique des faits accomplis (cathédrale d’Alger, radiotélévison). Il se montre très critique envers l’orientation socialiste du programme de Tripoli, et particulièrement l’opération labours : confiée à un incapable (Ouzegane), elle constitue une atteinte à la propriété privée et se traduit par des dizaines de tracteurs cassés. Il déplore également l’indiscipline de l’armée populaire, la baisse du niveau de vie et les dépassements de crédits qui imposent la séparation des Trésors français et algérien (12 novembre).

C’est par la presse que JM Jeanneney apprend en décembre son remplacement par Georges Gorse. Il renonce à protester auprès du chef de l’Etat et rédige le 10 janvier 1963 un rapport de fin de mission qui est un constat sans complaisance de l’évolution politique de l’Algérie :

  • lutte pour le pouvoir par des chefs de bandes sans envergure, seule l’armée des frontières est organisée et les kabyles restent puissants en ville d’Alger,
  • disparition de 1.850 Français, massacre non chiffrable de milliers de harkis, aucune sanction prononcée,
  • exode des pieds noirs qui sont moins de 180.000 fin 1962,
  • saisie de 2.600 biens mobiliers et matériels agricoles, 2.100 propriétés pillées,
  • coopération souhaitée par le petit peuple, mais condamnée par le pouvoir révolutionnaire.

En conclusion, le pire a été évité, la sécurité est devenue normale, et la France conserve une position éminente grâce à l’empreinte laissée par la colonisation.

Le caractère scientifique du travail d’Anne Liskenne est confirmé par de riches annexes (organigrammes, chronologie, bibliographie, index des personnes).
Maurice Faivre, le 11 octobre 2015