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Remise des insignes de commandeur de la Légion d’honneur au général Maurice Faivre

Discours du général d’armée Georgelin, - Ecole militaire, 18 octobre 2016

jeudi 22 juin 2017

Mon général,

Nous sommes rassemblés autour de vous aujourd’hui, famille, amis, officiers, historiens, dans ce haut lieu de la formation et de la recherche que représente l’Ecole militaire : quoi de plus naturel et de plus solennel pour célébrer les mérites d’un officier général - qui servit 35 années sous le drapeau avant d’épouser le métier d’historien militaire - et pour recevoir les insignes de commandeur de la Légion d’honneur.
Mon général, vous êtes un homme de parole, dans la double acception de ce terme : un homme d’engagement et un homme de communication.
Un homme d’engagement, donc.

Lors de la défaite de 1940, vous n’avez que 13 ans mais pour vous qui viviez avec l’idée d’une armée française victorieuse de la grande guerre, pour vous qui aviez vu votre père s’engager volontairement en 1939 après s’être battu en 1914-18, pour vous dont la famille était viscéralement patriote, c’est une profonde désillusion. Quelques années plus tard, vous êtes également marqué par la mort au combat d’un homme que vous admiriez, commandant FFI et aumônier des scouts routiers que vous fréquentez alors.

A la sortie de la guerre, vous vous engagez sans hésitation dans la carrière militaire. Vous entrez à Saint-Cyr et sortez major de promotion. A la détermination s’ajoute donc l’excellence mais vous n’êtes pas de ceux qui se mettent en avant et votre hiérarchie et vos hommes s’apercevront bientôt que votre goût du commandement impose naturellement votre autorité. Après une année à l’école de cavalerie de Saumur et un temps au Maroc, vous êtes affecté en Algérie. Vous y ferez deux séjours, très différents l’un de l’autre mais qui resteront une expérience marquante pour vous. Du premier, qui commence en 1955, vous dites « j’ai vraiment fait la guerre ». Avec l’appui de l’armée de l’air, vous éliminez en effet une compagnie de fellagahs et récupérez leur armement, ce qui vous vaut la première de vos deux citations, à l’ordre de la division. Vous vous initiez également, dans la région de Constantine, à la pacification, que vous poursuivez lors de votre second séjour, cette fois en petite Kabylie. Et vous associez à votre mission votre épouse Monique qui, formée à l’action sociale, apporte son aide aux femmes. L’un et l’autre demeurerez très attachés aux populations. Aussi lorsque vient le temps de votre retour en métropole puis des accords d’Evian, vous restez très attentifs au sort des harkis. A partir de 1963, répondant à leur appel, vous aidez certains d’entre eux à trouver logement et travail à Dreux, à rapatrier des familles en prenant mille risques, devenant si proche par votre générosité et par votre amitié qu’ils vous nomment aujourd’hui encore « grand-père ».

De ces liens et de votre expérience en Algérie, vous tirerez nombre d’ouvrages. Mais n’allons pas trop vite, car pour l’heure vous êtes officier de renseignement. Vous avez fait vos premières armes comme tel au 2ème bureau d’Alger, puis, après avoir été stagiaire à l’Ecole supérieure de guerre, vous devenez, à 40 ans, parachutiste et êtes affecté comme commandant en second du 1er régiment de hussards à Tarbes. Vient ensuite le commandement du 13ème régiment de dragons, en garnison à Dieuze, en Moselle, chargé du renseignement sur les arrières de l’ennemi. Ce régiment est par ailleurs le seul, après la décision du général de Gaulle de quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN, à effectuer avec des unités britanniques, américaines et allemandes, des exercices permettant de tester l’intervention en Europe de renforts américains, en cas de conflit.

Il faut rappeler que nous sommes alors en pleine guerre froide. Une période qui se révèle passionnante pour vous qui allez bientôt devenir chef du 2ème bureau à Baden-Baden où vous œuvrez pour l’état-major des armées, puis à Strasbourg. Vous êtes chargé notamment de la recherche du renseignement sur la Tchécoslovaquie, et sur l’Allemagne de l’Est. Vous travaillez de concert, selon les missions militaires de liaison en vigueur, avec les Américains et les Britanniques, mais aussi les Soviétiques. Fait marquant, votre étude sur les arrières de l’armée soviétique conduit à la constitution d’une unité de reconnaissance de corps d’armée analogue au 13ème dragon.
S’amorce ensuite votre mue vers le deuxième avatar de l’homme de parole, celui de communication. Vous entreprenez en effet un DEA puis un doctorat de sciences politiques que vous obtenez avec mention très honorable. Vous êtes entretemps devenu officier général en 2ème section et de l’ombre du renseignement vous passez à la lumière de l’histoire. Si elles différèrent dans leurs objectifs, ces deux sciences ont nombre de points communs dans la méthode : collecte et vérification d’informations, croisement des sources, qualités et interactions des forces en présence, interprétation de leurs intentions et motivations, synthèse et conclusions.

Vous vous attaquez ainsi, avec toute votre rigueur et votre force de travail à la recherche et à la diffusion de ses fruits. Vous vous intéressez aux nations armées, qui constituent votre sujet de thèse et celui de nombreux articles, à l’armée soviétique que vous avez étudiée sur le terrain, à la Franche-Comté, votre pays d’origine. Et naturellement à l’Algérie, à laquelle vous êtes resté fidèle et à qui vous consacrez 16 de vos 20 ouvrages : sur les harkis, sur la politique algérienne, sur le général Ely, sur la Croix-Rouge. Vous participez également aux travaux des Groupes Rencontres, de l’Institut de la désinformation, du Centre d’analyse de la désinformation européenne, du Cercle de Défense des combattants d’Afrique du Nord et de l’Association de soutien à l’armée française. Et vous intervenez, inlassablement, dans les colloques du Centre d’étude d’histoire de la Défense, de la Commission internationale Histoire militaire, de l’Académie de Franche-Comté. Vous êtes d’ailleurs correspondant de cette dernière institution, mais aussi membre de l’académie des sciences d’outre-mer, du Haut conseil des rapatriés et vice-président puis directeur de la Commission française d’histoire militaire – autant de hautes fonctions qui marquent la reconnaissance et l’estime de vos pairs.

Mon général, votre brillante carrière au sein du renseignement militaire montre également l’estime que vous portaient vos supérieurs. Le jeune officier qui vous entendit un jour à Strasbourg disserter sur le renseignement n’a jamais oublié la clarté de vos analyses, ni la clarté de votre voix qui ne pouvait être que celle d’un homme sûr de ses engagements - envers les armées et envers la France que vous n’avez cessé de servir depuis près de 70 ans. Une voix qui, par la vertu de l’écrit, continuera à nourrir les générations futures, à leur apprendre leur histoire et les valeurs d’un homme de parole.